Un avertissement légal qui interpelle
Le dernier 10-K de Damon Inc. mentionne des “procédures judiciaires, y compris des réclamations d’anciens dirigeants”. Dit ainsi, c’est sec. Mais pour investisseurs, clients et partenaires, c’est un signal rouge : la société anticipe des coûts, des risques de réputation et des priorités managériales détournées du produit.
Ce type d’alerte au sein d’un rapport annuel n’arrive pas par hasard.
Pourquoi c’est important pour les acteurs concernés
Quand une entreprise jeune et capital-intensive se débat avec des litiges, le calendrier produit en souffre et la trésorerie se tend. Les promesses de livraison se déplacent, les remboursements prennent plus de temps, la valorisation se fragilise. En clair : ce 10-K n’est pas qu’un document comptable, c’est une carte météo qui annonce la tempête.
Le bras de fer avec Andy DeFrancesco
Une plainte à Vancouver et 3,2 M$ en jeu
Le 11 avril, le financier Andy DeFrancesco a déposé une plainte à Vancouver contre Damon. Il affirme que l’entreprise n’a pas émis environ 2,9 M€ de rémunération en actions qui lui aurait été promise, répartie à parts égales entre lui et sa société. Pour Damon, ce n’est pas seulement un enjeu financier : c’est un litige qui peut forcer des révélations sur sa gouvernance et ses engagements passés.
Des liens financiers profonds et controversés
Les relations de DeFrancesco avec Damon sont anciennes et massives. Via SOL Global, Benevolent, Zirmania et House of Lithium, ses entités ont injecté des capitaux significatifs : environ 16,7 M€ en notes convertibles, puis une Série B d’environ 34,9 M€ en 2021. Quand un investisseur aussi impliqué devient plaignant, il faut se demander ce que cela révèle du pacte actionnarial, des clauses de conversion et des contrôles internes.
Le passif réglementaire de Andy DeFrancesco
Le contexte personnel n’aide pas. DeFrancesco a quitté SOL Global en 2022. En 2023, il a accepté un jugement par consentement avec SEC, comprenant le remboursement de gains indus, une pénalité civile (ensemble près de 2,8 M€) et une interdiction d’exercer comme dirigeant ou administrateur d’une société cotée.
Ce passif n’invalide pas sa plainte, mais il éclaire le climat de gouvernance autour de Damon.
Une gouvernance en crise chez Damon
Remaniements au sommet et départs
Côté management, c’est la valse des fauteuils. Le CEO et fondateur Jay Giraud a été évincé. Le CTO Derek Dorresteyn est parti.
La CMO Amber Spencer, également fiancée de Giraud, a été remerciée. Dans l’urgence, le cofondateur Dominique Kwong est revenu aux commandes comme CEO alors que l’entreprise frôlait la faillite. Ce type de rotation brûle de l’énergie et fragilise la vision produit.
Un effectif réduit et des dettes lourdes
Les effectifs seraient passés d’environ 100 à 13 personnes, dont deux sous‑traitants. Damon n’aurait plus d’usine opérationnelle, tout en portant plusieurs millions de dettes. Sans capacité industrielle claire, chaque mois qui passe éloigne la production série et renchérit la relance.
Il s’agit d’un chantier industriel à reconstruire presque de zéro.
D’autres contentieux en cascade
Au‑delà de la plainte de DeFrancesco, Damon ferait face à des réclamations pour loyers impayés et à des poursuites à venir, notamment de la part de Giraud. Chaque dossier ajoute de la pression financière et médiatique. Aggrégés, ces litiges compliquent les futures levées de fonds en augmentant le coût du capital.
Et les motos électriques, alors ?
Réservations maintenues, produit redessiné
Malgré la tourmente, Damon continue d’afficher des réservations pour ses motos électriques, tout en admettant « repartir d’une feuille blanche » sur le design. Cela peut signifier de meilleures performances à terme, mais aussi un redémarrage technique (fournisseurs, homologations, tests) qui rallonge les délais. Pour les clients, la promesse est intacte sur le papier, mais le calendrier devient flou.
Risques de livraison et options de remboursement
Dans ce contexte, les risques sont clairs : retards prolongés, modifications de spécifications et potentiel de remboursements différés. Si vous avez une réservation, gardez les confirmations de paiement, les conditions générales et toute correspondance.
En cas d’immobilisme prolongé, certaines juridictions permettent le chargeback ou la mise en demeure avant action collective. ⚠️ Chaque pays a ses règles : consultez un professionnel avant d’agir.
Ce que le cas révèle du marché des e‑motos
Le segment des motos électriques reste prometteur, mais il est exigeant : forte intensité capitalistique, cycles d’homologation longs, supply chain fragile. Quand un acteur emblématique trébuche, c’est toute la crédibilité du secteur qui prend un coup. Les marques qui survivront seront celles qui sécurisent leur gouvernance et leur capacité industrielle autant que leur technologie.
L’enchevêtrement des investisseurs passé au crible
Flux d’argent et conflits d’intérêts potentiels
La carte des flux entre Damon, House of Lithium et les autres entités liées à DeFrancesco mérite un examen attentif. Comment les notes convertibles ont‑elles été structurées ? Quelles clauses de déclenchement et quelles garanties ? L’existence de liens périphériques, comme des parrainages liés à la famille des investisseurs, pose la question des conflits d’intérêts et de la surveillance du conseil.
La leçon de gouvernance pour les startups EV
Les promesses techniques ne suffisent pas. Sans gouvernance robuste, comité d’audit vigilant et politiques de parties liées strictes, même une Série B de près de 35 M€ peut s’évaporer sans livraisons. Ma règle d’or : évaluer la structure de capital et les dépendances investisseurs avec autant de rigueur que la fiche technique.
Que faire maintenant ? Conseils pratiques
Pour les détenteurs de réservations
- Demandez un statut écrit : échéancier, spécifications actuelles, politique de remboursement.
- Fixez-vous une date de revue (ex. 90 jours) : sans avancée documentée, préparez un plan B.
- Centralisez vos preuves : confirmations d’achat et échanges — un dossier bien tenu accélère toute démarche.
Pour investisseurs et partenaires
- Effectuez un stress test : runway, dettes, litiges, capacité industrielle.
- Exigez des engagements de gouvernance : reporting, comités, droits d’information.
- Négociez des covenants clairs sur la remise en état de la chaîne industrielle avant tout nouveau chèque.
Pour l’écosystème EV
- Comptes ségrégués pour les acomptes sur précommandes.
- Jalons publics de fabrication et audits fournisseurs.
- Comparer la maturité industrielle au‑delà du marketing : sites de production, homologations obtenues, partenariats composants.
Au‑delà du cas Damon Inc.
Damon Inc. est un révélateur : des levées spectaculaires, un storytelling séduisant, puis la dure réalité de la gouvernance et de l’exécution industrielle. Si l’entreprise parvient à se recapitaliser, à régler ses litiges et à reconstruire son outil de production, elle peut encore surprendre. Sinon, l’affaire servira de cas d’école sur la manière dont un projet EV prometteur peut s’enliser.
En attendant, posons la question qui fâche : et si les précommandes dans l’EV devaient être mieux encadrées, pour protéger à la fois l’innovation et les clients ? Vos expériences et idées sont les bienvenues en commentaires.