Traverser la Méditerranée sur un jet-ski, est-ce de la folie ou une logique de survie ? L’histoire de Abu Dakha, 31 ans, Palestinien originaire de Gaza, nous plonge au centre d’un mouvement migratoire devenu à la fois plus inventif et plus dangereux.
Sa maison et son commerce détruits, il a fui, a tenté les voies “classiques”, s’est heurté à des refus, puis a pris la mer par ses propres moyens pour atteindre l’Europe. Voyons ensemble ce que raconte ce périple hors norme, ce qu’il révèle des routes migratoires actuelles et jusqu’où va la détermination quand toute autre porte se referme.
Fuite forcée — portes qui se ferment
Gaza vers Égypte : 4 650 € pour un passage
En avril 2024, Abu Dakha a quitté Gaza après la destruction de son foyer et de son activité. Premier obstacle : sortir.
Il a payé 4 650 € pour franchir la frontière vers Égypte, une somme colossale quand on sait que rien n’est garanti. Cette mise de départ n’offre pourtant aucune stabilité ; c’est seulement le début d’un itinéraire incertain.
Visa refusé pour Chine, pivot vers Libye
Son projet initial n’était pas l’Europe. Il espérait obtenir un asile en Chine.
La réponse tombe : refus. Alors, comme tant d’autres dont l’option légale s’effondre, il bifurque vers Libye, point de départ majeur vers Italie. Ce pivot illustre une réalité : l’absence de voies sûres pousse les exilés à se rabattre sur les routes maritimes, au prix de risques extrêmes.
Le piège libyen et l’échec des filières
Arnaques, abus et dix tentatives avortées
Libye n’est pas un refuge. C’est un environnement connu pour ses violences, ses trafiquants et ses arnaques. Abu Dakha et d’autres migrants y subissent pressions, abus et promesses non tenues.
Dix tentatives de traversée vers Italie échouent. Dix fois, l’espoir monte, puis retombe. Psychologiquement et financièrement, la spirale est rude.
Pourquoi certains rachètent leur propre embarcation
Quand les réseaux de passeurs déçoivent, certains prennent le contrôle de leur traversée. Pour sa part, Abu Dakha achète un Yamaha personnel (un jet-ski) pour 4 650 €.
L’idée peut sembler insensée, mais elle répond à une logique simple : couper court aux escroqueries, choisir sa fenêtre météo, décider de l’itinéraire. C’est aussi un aveu d’échec des filières traditionnelles, incapables d’offrir une chance réelle et sûre.
Calculer l’improbable : cap sur l’Europe en jet-ski
Budget, matériel et plan de route
Se lancer en jet-ski ne s’improvise pas. Abu Dakha investit 1 395 € supplémentaires pour un GPS, un téléphone satellite et des gilets de sauvetage pour ses deux compagnons.
Avant le grand départ, ils testent l’autonomie, estiment la consommation de carburant et planifient les ravitaillements possibles. La distance visée est de l’ordre de 296 à 333 km jusqu’à Lampedusa, avec une marge de sécurité serrée.
12 heures en mer et un sauvetage in extremis
Le trio roule environ douze heures sur l’eau, cap au nord‑ouest. La fatigue s’installe, la mer reste imprévisible et le carburant s’épuise. Ils tombent à court à environ 22 km de Lampedusa.
Un patrouilleur roumain les repère et les récupère. Fin de la traversée, mais pas de l’odyssée. Cette scène résume le paradoxe : l’initiative, la préparation, puis la bascule où la survie dépend d’un sauvetage providentiel.
Après Lampedusa : l’asile en pointillés
Centres d’accueil, transferts et échappée
À terre, les garde-côtes conduisent les naufragés vers le centre pour migrants de Lampedusa. Très vite, on les transfère en bus vers Gênes.
Là encore, la trajectoire dévie : Abu Dakha et ses compagnons quittent le convoi, filent vers Bruxelles, puis gagnent Allemagne. L’Europe, ce n’est pas un lieu précis, c’est une succession de sas, de formalités et d’opportunités à saisir.
Demande d’asile en Allemagne et attente
En Allemagne, ils déposent une demande d’asile et sont hébergés dans un centre pour demandeurs. L’agence fédérale chargée de la migration ne commente pas leur cas, et aucune date d’audition ne leur est communiquée au moment des faits.
L’objectif est clair : obtenir la protection et organiser la réunification avec son épouse et ses deux enfants restés en Palestine. Plus d’un an après le départ, la bataille administrative continue.
Ce que révèle cette traversée
Politiques migratoires et effets pervers
Cette histoire met en lumière un point sensible : quand les voies légales sont rares et imprévisibles, les candidats à l’asile se tournent vers des solutions “DIY”. Payer un passeur qui n’emmène nulle part ou acheter un jet-ski, ce n’est pas un choix de confort, c’est un dernier recours.
En verrouillant des routes, on n’élimine pas le mouvement ; on déplace le risque vers des scénarios plus périlleux. ➡️ Résultat : plus d’autonomie apparente, mais une dépendance accrue au hasard et aux secours en mer.
- Renforcer les voies sûres d’accès à la protection
- Accélérer l’instruction des dossiers
- Soutenir les capacités de recherche et de sauvetage
C’est pragmatique et cette approche sauve des vies. ✅ Pour ceux qui, comme Abu Dakha, sont déjà en route, l’enjeu est d’obtenir une décision rapide et de réunir leur famille avant que l’attente n’use tout espoir.
Je ne peux m’empêcher d’admirer la détermination, tout en redoutant que d’autres tentent la même entreprise sans préparation. On peut reconnaître le courage des migrants et exiger en parallèle des politiques qui réduisent l’incitation à prendre la mer. L’histoire de Abu Dakha, entre débrouille et danger, n’est pas un modèle à suivre, mais un signal d’alarme à écouter.
De Gaza à Lampedusa sur un jet-ski, puis jusqu’en Allemagne, l’itinéraire de Abu Dakha raconte une Europe vue depuis la mer : une promesse, des obstacles et une longue file d’attente. S’il obtient l’asile, sa victoire sera aussi celle d’une stratégie de survie face aux impasses.
Reste une question pour nous tous : voulons‑nous que la protection dépende d’un plein d’essence et d’une fenêtre météo, ou d’un système qui accueille vite et justement celles et ceux qui fuient la guerre ? À vous de réagir dans les commentaires : quelle voie jugeriez‑vous à la fois humaine et viable pour éviter ces traversées impossibles ?